Rencontre avec Mme Sabine HEYMANN, consultante en gouvernance, formatrice et coach

Rencontre avec Mme Sabine HEYMANN, consultante en gouvernance, formatrice et coach

Il y a plusieurs mois, nous avons eu l’opportunité de réaliser une mission de diagnostic juridique  à la demande d’un cabinet d’experts-comptables namurois réputé (cabinet GILSON & ASSOCIES) au sein duquel Mme Heymann est l’une des associées.

Il y a plusieurs mois, nous avons eu l’opportunité de réaliser une mission de diagnostic juridique  à la demande d’un cabinet d’experts-comptables namurois réputé (cabinet GILSON & ASSOCIES) au sein duquel Mme Heymann est l’une des associées.

Dans le cadre de cette mission, le défi était d’identifier les options envisageables visant à répondre à différents objectifs dans le contexte de la transition vers la transmission de l’entreprise, avec à terme, le retrait progressif des associés les plus âgés. 

Cette mission s’est avérée particulièrement intéressante dans la mesure où les associés ont intégré dans leur fiduciaire un mode de gouvernance bien original et encore peu répandu dans le monde des entreprises et associations, à savoir un modèle de gouvernance de type « sociocratique ».  Ce mode de gouvernance mérite que l’on s’y intéresse davantage dans le monde des entreprises et associations. 

Nous avons le plaisir de vous partager certains des propos que nous avons échangé avec Sabine Heymann lors d’une récente rencontre au cours de laquelle nous lui avons demandé de nous éclairer sur ce mode de gouvernance face aux défis de la transmission d’une entreprise.

Mme Heymann, pourriez-vous nous exposer votre parcours professionnel pour nous permettre de mieux comprendre ce qui vous a  conduit à disposer d’une telle expérience en matière de gouvernance sociocratique ?

Depuis 1996, j’ai obtenu les diplômes de Master en Sciences sociales et de Master en Sciences économiques de l’Université Libre de Bruxelles (ULB).  Après 5 ans passé au sein de la CGER en exerçant  le métier d’analyste financier, de manager et de responsable réseau de 5 agences avec la responsabilité d’environ une trentaine de personnes, j’ai décidé de combiner mes deux passions –  l’économique et le social.

J’ai ensuite complété mes formations par un Master en Gestion fiscale (Solvay Business School, ULB)  et obtenu un diplômé en consultance en développement personnel et relationnel (inspiration Gestalt).

A la suite à ma 1ère expérience de management assez intense (30 personnes, présence importante des syndicats, le tout dans le contexte historique du passage à l’euro et de la fusion avec la générale de banque) j’ai tout de suite mesuré l’importance de la communication, du leadership et du collectif !

J’ai donc ajouté dans « ma boite à outils » des connaissances et compétences en matière d’organisation et j’ai obtenu l’agréation par le Centre mondial de Sociocratie comme consultante en entreprise, selon les principes d’intelligence collective et de gouvernance participative. Il s’agit de recours à divers outils de compréhension mutuelle (pour faire vivre les valeurs que j’ai apprise en Afrique; ces valeurs sont résumées dans la symbolique de l’arbre à palabres « 4C » (créativité, communication, esprit critique (et constructif) et coopération).

En 2001, je me suis associée à Monsieur Jean-Luc Gilson fondateur d’un cabinet d’expertise comptable en pleine croissance. Ce dernier, habité par les mêmes valeurs que moi,  désirait faire du cabinet d’expertise la 1ère fiduciaire en Belgique à axer sa stratégie de développement  selon ces principes de gouvernance.

Depuis 2007, étant donné l’essor de l’intelligence collective et du besoin de mettre l’humain au centre, je développe une activité de conseil en gouvernance et management.

Aujourd’hui, le cabinet compte une douzaine de collaborateurs. Nous fonctionnons en « cercles sociocratiques » et nous préparons tranquillement la transmission (l’associé principal et fondateur, Monsieur Gilson, ayant atteint les soixante printemps).

Vous avez souligné votre « credo » dans le modèle de gouvernance sociocratique : pourriez-vous nous en expliquer les éléments essentiels ?

L’on peut définir la gouvernance sociocratique comme suit : il s’agit d’un mode de gestion et de prise de décision dans les organisations basées sur trois principes : l’équivalence, le projet commun et l’ouverture au feed-back de l’écosystème.

Ces 3 principes, inspirés de la cybernétique, ont étés énoncés en 1970 par Gérard Endenburg, ingénieur civil Hollandais, qui les a ensuite déclinés en 4 règles.

Elle vise à garantir une participation équivalente de tous les membres et à favoriser la collaboration. Les décisions sont prises par consentement, ce qui signifie qu’elles sont adoptées si personne n’a d’objection raisonnée et argumentée.

Née en 1789 avec Auguste comte (philosophe français) visionnaire, qui énonce le mot sociocratie,(kraken pouvoir) pouvoir du socio (du groupe), alors que nous sommes à la révolution française et  que nous venons seulement de passer à la démocratie laquelle est un système fondé sur le pouvoir du nombre (le pouvoir décisionnel est conféré à la majorité mathématique obtenue).

Dans un système sociocratique idéal, les positions correspondant à 51 % des votes ne s’imposeront pas comme telles aux positions défendues ayant obtenu  49 % des votes.

Les acteurs du modèle sociocratique mettront en œuvre, de manière organisée et structurée, une dynamique axée sur l’interaction de différents groupes de personnes regroupées en « cercles » au sein desquelles des règles précises seront observées en vue de créer un espace unique d’écoute et de dialogue.

Ces cercles devront obtenir le consentement de tous les membres, pour lever les objections des 49% autres ; l’on ne va pas leur demander s’ils sont d’accord, mais bien : « De quoi avez-vous besoin pour adhérer au projet avec les 51% ?».

Les 49% exposeront leur point de vue, leur préférence et indiqueront leurs éventuelles objections. Ensuite, en contact avec le projet commun qui les unissent, collectivement le cercle, et chacun de ses membres, échangera en vue de lever ces objections pour bonifier le programme initial qui a réuni 51% des votes.

Ce système utilise des cercles semi-autonomes interconnectés qui se coordonnent pour atteindre les objectifs de l’organisation. Chaque cercle a son propre domaine de responsabilité et prend des décisions dans ce domaine, tout en restant en lien avec les autres cercles pour assurer une autonomie locale et une cohérence globale.

Voilà ce que j’avais envie de dire au début, nous sommes en présence d’une hiérarchie de cercles plutôt qu’une hiérarchie de personnes ou de fonction.

Quelles sont les conditions de réussite d’une transmission d’entreprise lorsque l’on s’efforce d’y appliquer ce modèle de gouvernance ?

Les conditions de réussite d’une transmission classique sont  souvent au nombre de sept : je vais les citer ci-après en soulignant ce qui, à mes yeux, forme les spécificités liées à la gouvernance partagée en cercles :

  1. L’évaluation initiale :
  • L’on va rencontrer les principaux acteurs de l’entreprise pour comprendre les objectifs, les valeurs et les défis spécifiques de la transmission.
  • Ensuite, il s’agira d’Aanalyser la structure actuelle de l’organisation et identifier les points forts et les points faibles.

Étape fondamentale qui peut ne pas différer d’une transmission classique ou, selon certains critères, qui peut être faite avec la présence d’un collaborateur élu par les membres de l’organisation (processus d’élection sans candidat, que j’expliquerai plus tard).

2. La formation et sensibilisation :

  • Il est essentiel d’organiser des sessions de formation sur les principes de la sociocratie, en mettant l’accent sur la prise de décision par consentement, l’élection sans candidat et la présence du double lien dans tout le processus de transmission.
  • Dans ce cadre, afin de garantir la sécurité de tous, l’on veillera à s’assurer que tous les membres de l’organisation comprennent ces processus et leur importance pour la transition.

3. La mise en place des cercles sociocratiques :

  • Cette mise en place implique de créer des cercles semi-autonomes pour différents domaines de l’entreprise (par exemple, finance, ressources humaines, opérations, conseil d’administration,…).
  • Pour que ceci puisse fonctionner, il est indispensable de définir clairement les domaines de responsabilité de chaque cercle.

4. Le processus de prise de décision par consentement :

  • L’on pourra ensuite implémenter le processus de prise de décision par consentement dans chaque cercle. Cela implique que les décisions sont adoptées si aucun membre n’a d’objection argumentée.
  • Les moyens nécessaires doivent être fournis pour former les membres à exprimer leurs objections de manière constructive et à rechercher des solutions ensemble. C’est un processus qui nécessite de la persévérance et de la patience, car pour beaucoup, l’assimilation de ce mode de communication est souvent en rupture à leurs expériences antérieures.

5. L’élection sans candidat sociocratique :

  • L’on convient d’utiliser le processus d’élection sans candidat pour choisir les personnes clés dans les cercles. Les membres proposent et justifient les nominations, puis discutent et parviennent à un consentement sur les choix.
  • Un double lien, élu sur base de ce processus,  sera choisi pour accompagner les cédants a différentes étapes du processus de transmission.

6. Le plan de transition détaillé :

  • L’on veillera à élaborer un plan de transition qui détaille les étapes, les responsabilités et les échéances.
  • L’on n’omettra pas d’Inclure des mécanismes de feedback et d’ajustement pour répondre aux problèmes qui pourraient surgir. La présence du double lien est un de ces moyens.

7. L’accompagnement continu :

  • L’on s’efforcera d’offrir un support continu pendant et après la transition pour s’assurer que les nouveaux processus sont bien intégrés et fonctionnent efficacement.
  • Ceci requiert également d’organiser des réunions régulières pour évaluer les progrès et ajuster les plans si nécessaire.

Comment doit-on articuler ce mode de gouvernance au regard des dispositions légales et fiscales ?

Il est indispensable d’organiser cette gouvernance sans omettre le respect des aspects juridiques et fiscaux qui s’imposent à toute société. Il faut bien veiller à ce que toutes les obligations légales et fiscales soient respectées pour éviter tout problème post-transmission.

Aux aspects juridiques et fiscaux habituels, nous ajouterons, par exemple, la présence des doubles liens comme codécideurs ainsi que la règle du consentement.

En général les règles sociocratique sont plus contraignantes que ce qui est prévu dans les différents codes (par exemple : zéro objection à la place d’une majorité simple)/

En suivant les étapes citées précédemment, l’on se met en mesure de pouvoir  assurer une transmission d’entreprise harmonieuse tout en intégrant des processus de gouvernance partagée .

Pourriez-vous préciser en quoi, selon vous, les cercles sociocratiques vont participer au succès d’une transmission ?

Il est intéressant de souligner comment la gouvernance sociocratique peut faciliter la transmission d’entreprise. Lors d’un passage de relais, les principes de la sociocratie, tels que la prise de décision par consentement et la participation d’un double lien comme codécideurs, peuvent créer un environnement plus stable et inclusif. Cela permet à tous les membres de l’entreprise de s’impliquer activement dans le processus, réduisant ainsi les tensions et les résistances potentielles.

De plus, la structure en cercles semi-autonomes peut permettre une continuité opérationnelle plus fluide, car chaque cercle peut continuer à fonctionner efficacement même pendant la transition. Cette approche peut également aider à préserver la culture et les valeurs de l’entreprise, car elle repose sur une communication ouverte et une collaboration renforcée, essentielles pour une transmission réussie.

Quelles sont les règles à suivre pour adopter ce mode de gouvernance ?

Prérequis pour ce mode de gouvernance : être capable collectivement de différentier « la loi et l’esprit de la loi » !

L’esprit de la loi : ce sont les 3 principes de bases : 

  1. L’équivalence,
  2. Le projet commun
  3. et l’ouverture au feed-back de l’environnement. 

Pour  faire vivre ces règles dans une organisation humaine, ces principes  peuvent être déclinés en 4 règles de base. Elles n’ont pas la prétention d’être exclusives, elles ont cependant fait leurs preuves depuis plus de 50 ans.

Règle no 1 : le consentement comme mode de décision

L’on vise à aboutir à une situation de zéro objection.

En pédagogie comme en physique, la ligne droite n’existe pas !

En mécanique, sans tolérance, pas de mouvement !  En vie en groupe, sans tolérance pas de décision viable !

Une bonne décision, c’est une décision qui respecte les limites (les tolérances) de ceux qui devront vivre avec cette décision.

Règle no 2 : le cercle, lieu de prise de décision

Sous forme d’organigramme, les cercles peuvent être schématisés comme suit :

Les décisions relevant du périmètre d’action d’un cercle sont impérativement prises au sein de ce cercle. Chaque membre du cercle intervient librement dans une relation « expression-écoute » d’équivalence en tous les membres du cercle de prise de décision.

Règle no 3 : le principe du double lien (le second lien)

La nature a horreur du vide.

Si la communication ascendante n’est pas gérée consciemment, pour survivre le système va inventer un moyen de s’autoréguler.

Un membre d’un cercle est choisi par le cercle pour siéger comme membre dans le cercle « supérieur ». A la différence d’autre instance de concertation, il sera codécideur.

Règle no 4 : l’élection sans candidat

L’affectation des membres dans leur poste se fait sur la base du consentement des membres du cercle selon les directives suivantes :

Nous sommes bien en présence d’une méthode gouvernance très structurée et qui va exiger de tous une excellente compréhension des règles de base. Quelles sont les missions d’un cercle de concertation ?

Le cercle remplit quatre missions : il doit être un lieu de réalisation d’un objectif opérationnel, être un lieu de médiation des conflits, être un lieu de prise de décision et un lieu d’éducation permanente à la tâche et à la relation.

L’on formule les indications suivantes pour l’animation des cercles sociocratiques :

  • Faire bon usage du temps
    • Délimiter le temps de parole
    • Tourner en rond pour aller droit au but
    • Prendre et donner consciemment la parole 
  • Chercher à unir
    • Accepter d’être imparfait
    • Nos convictions sont des points de vue
    • Nos problèmes sont aussi ceux du groupe et vice-versa

Ces explications nous permettent de mieux les composants essentiels de ce mode de gouvernance. Cependant, quelques illustrations nous aideraient à mieux l’appréhender…

Imaginez une entreprise qu’on accompagne dans la transmission, c’est une entreprise d’architectes et d’ingénieurs, ils sont structurés avec un pôle d’architectes, un pôle d’ingénieurs, un pôle de comptables, un pôle de RH. Ces pôles  sont strictement opérationnels et ceux-ci forment la structure pour s’organiser, pour atteindre les objectifs de l’organisation.

A cette structure-là, nous superposons une structure de cercles pour créer l’équivalence. Pas l’égalité, l’équivalence. Il y a toujours des coordinateurs, des directeurs, peu importe les mots choisis, responsables de l’atteinte des objectifs. Cette structure hiérarchique de cercles est là simplement pour transformer la « pression » opérationnelle qui existe de manière naturelle.

Pensons par exemple au cercle Ressources Humaines : au moment des entretiens d’évaluation annuel, ils mettent un peu la pression pour que ces derniers soient réalisés avant la fin de l’année et, en même temps, les collaborateurs jonglent pour faire face aux autres priorités opérationnelles. Ceci crée des tensions entre deux objectifs de l’organisation.  Dans cette gouvernance, nous voulons trouver des règles pour que les divers pressions organisationnelles soient équivalentes.

La décision d’ordre stratégique que l’entreprise prendra, sera prise en cercle par consentement, alors que la stratégie opérationnelle usuelle peut être prise en réunion d’équipe classique.

Donc, on a bien des pôles opérationnels d’une part et des cercles stratégiques d’autre part. Ce sont les mêmes personnes, mais en cercle, elles sont organisées en étant interconnectées l’une et l’autre.

Chaque cercle a un périmètre de pouvoir qui lui est attribué avec des rôles, des responsabilités et de l’autonomie.

Donc, à ce moment-là, ces cercles sont interconnectés l’un avec l’autre et donc il y a bien ce premier lien qui est par exemple le responsable RH et un deuxième lien qui lui a été élu sans candidat par consentement par l’équipe pour prendre des décisions au cercle supérieur.

Dans mon exemple RH, le cercle de direction, pour tenir compte d’une objection du double lien du pole finance qui a mis en exergue une pression opérationnelle spécifique, a pris la décision de faire les entretiens d’évaluation annuels selon timing spécial réparti sur l’année pour les 250 collaborateurs. Les RH ont bonifiés en ajoutant une demi-journée d’animation par pôle pour fédérer autour de ces évaluations . En effet, la répartition dans le temps du processus d’évaluation pouvait nous éloigner de leur but réel qui est de développer des compétences individuelles et collectives .

L’articulation des rôles au sein du cercle se présente comment ?

C’est une sorte de trio gagnant où le coordinateur (le directeur) est responsable de l’opérationnalité, de l’efficacité.

Ensuite il y a un facilitateur, un animateur qui lui est responsable de l’équivalence, il est gardien de l’harmonie entre les membres.

Une des seules recommandations qui est faite est de ne pas cumuler ces deux rôles sur la même personne.  C’est le biais que l’on vit dans la plupart des organisations actuelles. Le chef d’équipe est le facilitateur, il organise la réunion, il établit l’ordre du jour, il fait tourner la parole et est responsable de l’efficacité.  Le paradoxe est compliqué à vivre pour tous. La structure hiérarchique sous-entend « le chef décide en cas de désaccord », nous sommes inégaux,  alors que l’idéal pour les membres et pour la créativité des décisions stratégiques est plutôt  que nous soyons équivalents.

Le troisième rôle est celui du secrétaire du cercle. Il prépare l’ordre du jour, rappelle les décisions en attente, gère le temps, soutien l’animateur en cas de tension, aide à rédiger les décision,…..  C’est une fonction clé !

L’existence des trois rôles permet d’organiser la sécurité, l’équivalence, l’efficacité et donc la mobilisation de tous de manière pérenne.

Maintenant, si l’on reste sur le thème de la transmission d’entreprises, pourriez-vous nous partager quelques expériences et situations de transmissions dans lesquelles vous avez eu l’occasion d’intervenir avec « l’outil sociocratique » ?

Je pense à cette entreprise dont je vous parlais d’architectes et d’ingénieurs.  La transmission est en cours depuis quelques années et va aboutir à très court terme. Pour réussir le processus, la mise en place des cercles s’est déroulée de manière structurée. Une fois que la hiérarchie de cercle est dessinée, il y a quelque chose de réellement contraignant.

Si les différentes étapes ne sont pas bien séquencées, à un moment, en cas de tension, le repreneur risque d’en revenir à son mode de fonctionnement strictement juridique ou financier habituel.  

Les candidats repreneurs ont été invités dans les cercles afin de partager la vie organisationnelle et commencer à envisager l’avenir. A la suite de ces contacts, deux repreneurs potentiels ont été écartés parce que plusieurs cercles sont arrivés au constat que ces candidats ne pourraient pas adopter le modèle de gouvernance qui régnait dans l’entreprise. Ces constats étaient réalisés bien entendu avec des doubles liens de chaque cercle et validé sans objection.

Dans un autre cas de transmission vécue, la dynamique de fonctionnement par cercles a permis de conditionner la reprise d’une entreprise par l’acceptation par le repreneur, de suivre différentes formations qui étaient fondamentales aux yeux des préoccupations exprimées au sein des cercles. Aujourd’hui cette objection d’un membre de l’organisation, qui a été transformée en bonification concrète a permis une réussite de la transmission.

Et, finalement, autre exemple vécu est celui de notre cabinet d’expertise comptable qui, en 2017, a voulu investir dans sa croissance en se lançant dans un processus d’acquisition d’un autre cabinet comptable comptant 5 collaborateurs. Un de nos salariés, qui était un des double-liens et qui a été nommé au conseil d’administration, a fait partie intégrante de tout le processus de rachat. Il a ainsi lui aussi rencontré le vendeur, a fait le lien avec le cercle de direction pour transmettre les informations et ressentis de son cercle. Il avait autant de « pouvoir » dans la prise de décision du rachat (ou non) que tous les membres du cercle, avec la même équivalence que celle revenant à l’actionnaire majoritaire, candidat vendeur. Et là concrètement, on peut étayer l’exemple. Ces double-liens ont été choisis par élection sans candidat par les membres de l’équipe pour décider avec les associés lors des rencontres du conseil d’administration de l’autre fiduciaire.

Les expériences qui en découlent sont riches et l’on doit avoir conscience que la clé du succès est qu’il y ait une maturité des membres des cercles tant au conseil d’administration que dans l’équipe de salariés. Tous sont confrontés à des peurs et des espoirs et le mode de gouvernance permet de les dynamiser.

L’on pourrait donner comme définition de cette gouvernance, que c’est partager le pouvoir sans le perdre.

C’est cependant compliqué parce que le pouvoir on le confond avec une tarte. Quand on la partage, on croit qu’on en a moins,  mais il faudrait plutôt le comparer à une énergie positive (comme l’est l’amour) ; plus je le partage, plus j’en ai.

Il serait intéressant me semble-t-il de pouvoir faire la différence entre ce modèle que vous prônez et avec d’autres formes d’entreprises dites « participative ».

Vous avez dit « on n’est pas une entreprise libérée », On a beaucoup parlé dans les médias spécialisés ou autres des entreprises libérées comme étant la solution à tous les problèmes, ici, vous proposez une alternative.

Oui tout à fait. De nouveau, dans les médias, les informations sont souvent à prendre avec des pincettes ; dans ce discours médiatique, ce qu’on a fait de l’entreprise libérée n’est pas ce qu’elle était intellectuellement, vous et moi, nous savons qu’il n’y a pas de méthode magique. Depuis 1789, si ça en était une, ça se saurait, donc ce sont juste des inventions humaines, avec toute l’humilité que nous devons avoir en tant qu’êtres humains. Une partie du modèle d’entreprise libérée a été interprété comme n’impliquant plus de besoin de hiérarchie du tout.

Or, ici, la gouvernance sociocratique est une alternative bien différente parce qu’il y a une hiérarchie qui rassure dans l’opérationnalité. Chacun sait ce qu’il a à faire, pourquoi, comment on mesure les objectifs, mais on y ajoute une hiérarchie de cercles dans lesquels prédomine l’équivalence entre les membres et là on prend des décisions de manière sereine où on prend le temps de nourrir la confiance plutôt que la peur.

Le temps du processus n’est-il pas un facteur contraignant si l’on veut fonctionner en cercles, surtout dans le contexte d’une transmission d’entreprise ?

Si bien entendu, c’est un facteur contraignant mais pas obligatoirement dans un sens négatif.

Une transmission d’entreprise qui adopte un modèle de gouvernance par cercle de concertation imposera d’accepter un rythme qui est différent, mais les avantages de ce mode de prise de décision sont considérables.

Cette gouvernance met en avant deux types de temps : le temps horloge que nous connaissons tous lié à la montre et le temps processus qui lui est invisible. Le rythme imposé par la hiérarchie de cercle permet de respecter le temps processus et génère de bien meilleure décision. La confiance et la volonté de chacun des membres de pérenniser l’entreprise facilite l’écoute et la créativité y compris avec le potentiel repreneur. C’est comme cela qu’est née, grâce à la présence du double lien qui a bonifié les objections, une vente sous « conditions » de formation du repreneur. 

Donc oui c’est contraignant mais comme tout art, sans contrainte il n’y a rien de beau qui émerge.

Je pense que face aux enjeux de sociétés actuels et à la vision des jeunes du travail, nous n’aurons plus d’autre choix que de réaliser ce genre de transmission ou toutes les parties prenantes seront impliquées. Mais l’avenir nous le dira….

Merci Mme Heymann pour votre partage de savoir et d’expérience à nos contacts. Pourriez-vous nous communiquer quelques ressources utiles pour ceux qui voudront en savoir plus ?

Je vous invite à consulter les sites suivants :

https://thesociocracygroup.com/
https://www.gerardendenburgfoundation.nl/

Et le cas échéant, ne pas hésitez à me contactez personnellement

Pour terminer cet entretien, nous aimons poser à notre invité une série de questions simples en vous demandant de répondre par un seul mot, merci déjà d’accepter ce petit clin d’œil personnalisé

Quel est le mot de la langue française que vous préférez ?

Merci

Quel est le mot de la langue française que vous détestez le plus ?

Guerre ou hypocrisie

Quelle est votre drogue favorite ?

La randonnée entre amis

Quel est le son ou le bruit que vous détestez le plus?

Le cri en général (animaux, humains, enfants)

Quel est votre juron, gros mot ou blasphème favori ?

Crotte de caniche

Quel est l’Homme que vous choisiriez pour illustrer un nouveau billet de banque ?

Le petit prince

Quel est le métier que vous n’auriez vraiment pas aimé faire ?

Juge ou avocat

Quelle est la plante, l’arbre ou l’animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ?

Une louve

Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous l’entendre vous dire après votre mort ?

Quelque chose comme : « sois la bienvenue, tu as fait de ton mieux, tu as bien bossé ».

Rédaction