Que faire si votre travailleur a trop de kilomètres au compteur ?
L’usage d’un véhicule de société constitue un attrait important pour les travailleurs du secteur privé. Dès lors, nombreux sont les employeurs qui mettent une voiture à la disposition de leurs travailleurs, qui utilisent celle-ci non seulement pour les déplacements professionnels, mais également à des fins privées. Très souvent, dans cette hypothèse, la mise à disposition du véhicule s’accompagne de l’octroi d’une carte essence.
Comment l’employeur peut-il éviter que des travailleurs utilisent la voiture et/ou la carte essence mises à leur disposition de manière abusive ?
A titre d’exemple, le 23 mai 2022, la Cour du travail de Liège a tranché une affaire dans laquelle une travailleuse, comptable au sein de la société qui l’employait, s’était vue octroyer un véhicule et une carte essence dont les membres de son ménage pouvaient également faire usage (C. trav. Liège, R.G. 2021/AL/169, 23 mai 2022, https://www.terralaboris.be/IMG/pdf/ctll_2022_05_23_2021_al_169-2.pdf).
L’employeur s’est un jour aperçu, lors d’un contrôle aléatoire au cours duquel il a étudié les factures de carburant de la travailleuse, que les pleins effectués au moyen de la carte essence servaient à alimenter un véhicule dont le réservoir disposait d’une capacité bien supérieure à celui du véhicule mis à sa disposition.
Il s’est également avéré qu’en réalité, des pleins avaient été effectués lorsque la travailleuse était au bureau, et non sur la route.
Il est apparu qu’en réalité, la travailleuse donnait à son mari la carte essence qui avait été mise à sa disposition pour qu’il alimente son propre véhicule, lequel consommait d’ailleurs bien plus que le sien.
L’employeur a donc décidé de licencier la travailleuse pour motif grave.
La travailleuse a introduit une action devant le Tribunal du travail dans le but de contester ce motif grave et d’obtenir une indemnité compensatoire de préavis, ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Son argument principal : l’utilisation de la carte essence pour alimenter d’autres véhicules que celui mis à sa disposition ne lui avait pas été formellement interdite.
En première instance, le Tribunal du travail de Liège, division Liège a considéré que les faits invoqués à l’appui du licenciement de la travailleuse n’étaient pas constitutifs de motif grave, au motif que « rien n’interdisait explicitement de procéder de la sorte, la limite de carburant dont Mme [C] pouvait bénéficier en tant qu’avantage en nature n’ayant pas été précisée ».
La travailleuse, n’ayant pas obtenu gain de cause sur l’intégralité de ses prétentions, a interjeté appel de la décision. L’employeur a, lui aussi, décidé d’introduire un appel dit « incident », c’est-à-dire consécutif à l’appel déjà introduit par la travailleuse, contre cette décision, en vue de faire reconnaître le caractère « grave » du motif du licenciement.
La Cour du travail de Liège a fait droit à l’appel incident de l’employeur, rejetant à l’inverse intégralement la thèse de la travailleuse. La Cour a en effet considéré que le motif grave invoqué par la société était bel et bien établi. Elle a en outre constaté que :
- La travailleuse ne contestait pas avoir permis l’utilisation de sa carte essence pour faire le plein d’autres véhicules ;
- La réalité des disproportions des pleins, en comparaison avec le nombre de kilomètres parcourus par la voiture mise à disposition de la travailleuse, était établie.
Pour la Cour, l’absence d’interdiction explicite, dans la convention de mise à disposition du véhicule, d’utiliser la carte essence pour d’autres véhicules, n’autorisait pas pour autant l’utilisation de la carte à de telles fins.
Notre conseil….
Pour éviter de telles difficultés et les aléas d’un débat judiciaire, il est hautement recommandé que l’employeur définisse, à l’avance, de manière claire et précise, les règles auxquelles le travailleur doit se soumettre dans le cadre de l’utilisation du véhicule mis à sa disposition, notamment en ce qui concerne les éléments suivants :
- La durée de la mise à disposition du véhicule ;
- L’utilisation du véhicule en personne raisonnable et prudente ;
- L’autorisation ou non des déplacements à l’étranger ;
- Les personnes autorisées à utiliser le véhicule ;
- Les règles applicables en cas d’accident ou de dégâts causés à la voiture ;
- La personne qui devra prendre à sa charge les amendes et autres frais liés à la commission d’une infraction de roulage avec le véhicule ;
- L’usage de la carte essence mise à disposition du travailleur.
Cela peut se faire, soit, par le biais du règlement de travail, soit, par celui d’une car policy ou encore d’une convention de mise à disposition du véhicule. Quelle que soit l’option choisie par l’employeur, il convient de se ménager la preuve du fait que le travailleur a effectivement pris connaissance de ces règles.