Pas encore fiancés et déjà mariés…

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Vous êtes engagé dans des négociations précontractuelles ? Jusqu’où s’étend votre liberté de contracter ou de ne pas contracter et, partant, de rompre les négociations ? Il se pourrait bien, alors même que le contrat définitif n’est pas encore signé, que vous soyez déjà lié par un « accord de principe » qui vous empêche de faire marche arrière.

Une récente décision du Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles nous amène à faire le point sur cette notion d’ « accord de principe » et les conséquences juridiques qu’un tel accord pourrait avoir sur vos relations d’affaires.

Un accord de principe, qu’est-ce à dire ?

Selon les cours et tribunaux[1], l’accord de principe est un engagement contractuel de faire une offre ou de poursuivre une négociation en cours afin d’aboutir à la conclusion d’un contrat, contrat dont le contenu n’est encore déterminé que de façon partielle et insuffisante pour qu’il soit considéré comme un contrat en bonne et due forme.

En d’autres termes, les parties en négociations peuvent se retrouver liées contractuellement alors même qu’elles n’ont pas encore fixé les termes du contrat à venir.

Par conséquent, peu importe les conditions restant à discuter, un contrat devra être conclu, sous peine, pour la partie qui se refuserait à le formaliser, d’engager sa responsabilité contractuelle.

Dès lors, où placer le curseur ? Quand les négociations basculent-elles vers un accord de principe ?

Pour déterminer s’il y a ou non « accord de principe », les cours et tribunaux analysent le contexte global des négociations. Différents éléments peuvent être pris en compte afin de confirmer, lorsqu’ils sont regroupés, la présence d’un tel accord.

Premièrement, les parties ont-elles conclu une lettre d’intention (dite, en anglais, « LOI ») ?

Une lettre d’intention a généralement pour objet principal de confirmer l’intérêt que les parties portent à la réalisation de l’opération envisagée. Elle crée donc un certain cadre contractuel entourant les négociations en cours.

Une lettre d’intention contient parfois des dispositions très détaillées relatives aux termes et conditions de l’opération envisagée, telle une cession-acquisition d’entreprise. Certains éléments peuvent alors être considérés comme acquis (les parties ne pourront pas y revenir).

Dans cette hypothèse, la lettre d’intention constitue un véritable canevas de la convention de cession (dans notre exemple), ce qui est compatible avec l’idée d’un accord de principe[2]. Cet accord sera acquis, même si les parties s’en défendent en prévoyant que la lettre d’intention n’est pas liante (non binding), et n’est pas source d’obligations à leur charge et/ou est subordonnée à la signature d’un contrat en bonne et due forme.

Deuxièmement, à quel stade des négociations les parties sont-elles arrivées ? Les points essentiels du futur contrat sont-ils concrétisés ?

L’existence d’un accord de principe peut en effet être retenue lorsque les négociations sont à un stade très avancé[3] (1) ou lorsqu’il y a accord sur certains points essentiels[4] (2).

  • Les cours et tribunaux sont attentifs au délai écoulé entre le début des négociations et le jour de leur rupture. Plus les négociations ont duré et plus les derniers échanges étaient rapprochés, plus l’accord de principe sera conforté. 

Cela sera d’autant plus le cas si, pendant une période de temps plus ou moins longue, l’une des parties a laissé croire à l’autre que le contrat serait conclu[5] et l’a laissée consacrer du temps et des moyens financiers (ou entreprendre des études et des travaux) en vue de la conclusion de l’opération, alors qu’elle n’avait pas ou plus l’intention de conclure la convention.

  • Les parties peuvent être considérées comme d’accord sur les points essentiels du contrat, lorsque seuls des détails restent à régler (ces derniers n’empêchant pas la finalisation de la transaction).

Soyez attentif au fait que dans une transaction, le prix est un élément essentiel et que lorsque celui-ci a été définitivement fixé et ce (dans le cadre, par exemple, d’un contrat de cession d’actifs), indépendamment de sa répartition entre les différents éléments d’actifs objet de la vente, l’existence d’un accord de principe sera très vraisemblablement retenue.

Notons encore que la circonstance que les parties prévoient que la convention définitive sera signée lors de la réalisation d’une condition suspensive claire et définie, ne suffit pas à remettre en cause l’existence d’un accord de principe entre parties.

Illustration dans les faits / dans la jurisprudence

C’est ainsi que, un simple courriel a été considéré comme preuve d’un accord de principe qui ne pouvait être rompu, sauf à engager la responsabilité de la partie contrevenante. Ce courriel avait en effet été adressé (i) dans un contexte avancé de négociations dans le cadre desquelles (ii) les éléments essentiels, dont le prix, avaient été arrêtés.

Ce courriel a emporté la conviction du tribunal dès lors que, dans le contexte prédécrit, il annonçait la rédaction des projets de contrats, soit la formalisation de l’accord intervenu entre parties.

Un simple acte (tel, dans notre exemple, l’envoi d’un courriel), qui pourrait vous paraître anodin, peut, donc, dans certaines circonstances, faire basculer le curseur de l’étape « négociations » (dont on peut toujours sortir, si on le fait loyalement) vers l’étape « contrat » où on est lié, avant même que le texte final de la convention soit finalisé et a fortiori signé.

Quelles sont les obligations des parties liées par un accord de principe ?

Une partie à un « accord de principe » ne peut pas, par sa seule volonté, remettre en cause les points essentiels du contrat que nous évoquions ci-dessus, au risque d’engager sa responsabilité contractuelle.

Ainsi, en cas de vente, les parties ne disposent plus de la faculté de poursuivre une négociation parallèle avec un tiers et de rompre un accord de principe afin de vendre au plus offrant[6], et ce même si les parties n’ont pas négocié sous le couvert d’une clause d’exclusivité.

Quelles sont les conséquences du non-respect ou d’une rupture d’un accord de principe ?

Si une partie à un accord de principe contrevient aux obligations qui en découlent ou rompt l’accord de principe, elle se rend coupable d’une faute contractuelle qui, si elle occasionne un dommage à l’autre partie, peut donner lieu à indemnisation du préjudice qui en résulte.

Ce dommage peut se composer :

  • des frais encourus inutilement dans le cadre des négociations, comme les frais des conseils mandatés pour mener à bien les négociations (avocats, experts-comptables, réviseurs), mais également, le coût de l’utilisation à fonds perdu du know-how du partenaire évincé, l’atteinte à sa réputation commerciale, etc. ;
  • de la perte du bénéfice net escompté si la transaction avait abouti (ou, à tout le moins, de la perte de chance de réaliser ce bénéfice net) ;
  • enfin, mais plus rarement, du profit et des avantages que l’auteur de la rupture a retirés des négociations.

Bien entendu, il convient, pour chacun de ces postes du dommage, d’apporter, pièces à l’appui, la preuve qu’il existe et celle de son ampleur.

Concernant, plus particulièrement, la perte du bénéfice net escompté, un rapport dressé par un expert du chiffre est nécessaire. Il est toutefois probable que le tribunal saisi du dossier ordonne une expertise judiciaire afin de disposer d’un rapport contradictoire.

Même en l’absence d’un accord de principe, peut-on mettre fin, sans autre forme de procès, à des négociations ?

L’article 5.17 du Code civil, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2023, consacre l’existence d’une responsabilité précontractuelle :

« Les parties peuvent engager leur responsabilité extracontractuelle l’une envers l’autre pendant les négociations précontractuelles.

En cas de rupture fautive des négociations, cette responsabilité implique que la personne lésée soit remise dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée s’il n’y avait pas eu de négociations. Lorsque la confiance légitime que le contrat serait sans aucun doute conclu a été suscitée, cette responsabilité peut impliquer la réparation de la perte des avantages nets attendus du contrat non conclu » (nous soulignons).

Le nouveau Code civil confirme de la sorte la jurisprudence antérieure qui sanctionnait déjà toute partie ayant pris part à des négociations et les ayant rompues abusivement (ou brutalement), en marge de la loyauté et de la bonne foi[7].

L’ouverture et la conduite des pourparlers exigent en effet la bonne foi dans les intentions des parties.

A défaut de pouvoir faire valoir un accord entre principe, la partie qui se prétend lésée par la rupture de négociations peut invoquer le caractère abusif de cette rupture.

Ici encore, il incombera à cette partie de démontrer, quel était l’état d’avancement des négociations et les circonstances permettant de qualifier la rupture d’abusive ainsi que les dommages qui en résultent.

***

Un conseil en guise de conclusion

Que vous n’ayez pas encore signé de contrat ou que les négociations auxquelles vous participez n’aient pas encore abouti, n’induit pas pour autant que vous ne soyez pas déjà « engagé ».

Engagé, dans certaines hypothèses, envers votre partenaire par de véritables obligations de faire, de ne pas faire ou encore de donner.

Engagé, dans tous les cas, à agir loyalement et de bonne foi et surtout, à ne pas faire naître ou entretenir dans le chef de ce partenaire des espoirs que vous savez sans fondement et donc illusoires.

Soyez dès le premier jour des discussions attentif à ce que vous dites, écrivez ou laissez entendre et n’hésitez à faire appel à votre avocat avant même qu’il soit question de rédiger le contrat !  

Chloé NOLS – Avocate au Barreau de Liège – Huy


[1] Cour d’appel Luxembourg, 4e ch., 21 mai 2014, DAOR, 2017/1, n° 121, p.79-85 ; Comm. Bruxelles (13e ch.), 24 juin 1985, J.T. 1986, p.236.

[2] D. LECLERCQ, Les conventions de cession d’actions – Analyse juridique et conseil pratiques de rédaction, sous la direction d’O. CAPRASSE, Larcier, 2e éd., 2017, pp. 38-40.

[3] BERLINGIN, M., Le sort des actes d’exécution précédant l’accord des parties quant aux éléments essentiels et substantiels du contrat, R.G.D.C. 2006, liv. 8, p. 449-455 ; M. BERLINGIN, « La formation dynamique du contrat de vente », in Vente – Commentaires pratiques, Kluwer, 2007, pp. 26-27.

[4] D. PHILIPPE, Formation des contrats – Commentaire. Cour d’appel de Luxembourg (4e ch.), Kluwer, 21 mai 2014, DAOR, 2017/2, n° 122, p. 7 ; J. STICHELBAUT, S. MORTIER, « La période précontractuelle. La rencontre des consentements », in Obligations. Traité théorique et pratique, Wolter Kluwers, 2016, p. 9.

[5] Civ. Dinant (5e ch.), 16 février 1994, JLMB, 1995, p. 407.

[6] J. STICHELBAUT, S. MORTIER, « La période précontractuelle. La rencontre des consentements », in Obligations. Traité théorique et pratique, Wolter Kluwers, 2016, p. 7 ; Liège, 28 février 1997, J.L.M.B. 97/310.

[7] M. BERLINGIN, « La formation dynamique du contrat de vente », in Vente – Commentaires pratiques, Kluwer, 2007, p. 6.

Rédaction