Le Bitcoin s’envole, les écrits restent !

Le Bitcoin s’envole, les écrits restent !

La grande volatilité des cryptomonnaies est au cœur de l’actualité. Le Bitcoin, pour ne parler que de la plus célèbre d’entre elles, fait office de valeur refuge dans le cadre de la crise que connait le système bancaire mondial suite à la fermeture de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank aux USA.

Cette volatilité constitue à la fois leur principal atout et leur principal danger : de nombreuses personnes investissent dans les cryptomonnaies, ou s’engagent dans des contrats de vente de biens ou de services dont le prix est convenu en cryptomonnaie, espérant ainsi réaliser des bénéfices à court terme, mais prenant également le risque de subir de lourdes pertes.

Imaginons deux personnes, Bob et Alice, qui souhaitent conclure un contrat par lequel Bob vendrait des NFT à Alice moyennant un prix fixé en cryptomonnaie (comme Bitcoin, Ethereum, Litecoin, etc.), qui devrait être payé un mois après la signature du contrat.

Entre la signature du contrat et le jour du paiement du prix, la valeur de la cryptomonnaie choisie pourrait augmenter ou diminuer de manière significative.

Comment les parties pourraient-elles atténuer les risques liés à d’importantes variations de valeur ?

Envisageons différentes hypothèses…

1. Bob et Alice souhaitent limiter les risques liés à une augmentation ou à une diminution de valeur de la cryptomonnaie visée par leur contrat.

    Quels moyens ont-ils à leur disposition ?

    a) La théorie de l’imprévision

      Le législateur belge a introduit dans notre nouveau Code civil, entré en vigueur le 1er janvier 2023, la théorie dite « de l’imprévision ». Cette théorie, inspirée du droit anglo-saxon, rend possible une renégociation, voire une annulation du contrat lorsque son économie a été bouleversée postérieurement à sa conclusion.

      Nous disposons donc désormais d’un article 5.74, et intitulé « changement de circonstances ».

      Cet article autorise le débiteur d’une obligation à solliciter de son créancier la renégociation du contrat aux conditions cumulatives suivantes :

      • un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger ;
      • ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
      • ce changement n’est pas imputable au débiteur ;
      • le débiteur n’a pas assumé ce risque ; et
      • la loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité.

      Imaginons que dans leur contrat, Bob et Alice n’aient prévu aucune clause relative aux conséquences d’une éventuelle augmentation ou diminution de valeur de la cryptomonnaie concernée, et que la valeur de celle-ci ait augmenté de 80%.

      Alice a-t-elle une chance d’invoquer avec fruit l’article 5.74 auprès de Bob ou, le cas échéant, devant un juge ?

      A notre sens, une argumentation fondée sur la théorie de l’imprévision peinerait à convaincre en une telle hypothèse, les cryptomonnaies étant spécifiquement caractérisées par leur grande volatilité. Il serait hasardeux d’affirmer, selon nous, qu’une augmentation / diminution de la valeur d’une cryptomonnaie classique était imprévisible au moment de contracter.

      Néanmoins, l’application de l’article 5.74 nécessite une analyse au cas par cas.

      Le raisonnement pourrait donc être différent si :

      • la cryptomonnaie concernée n’avait connu, par exemple, des variations de valeur, à la hausse ou à la baisse, qu’à concurrence de 20% depuis sa mise sur le marché et avait, de manière subite et inattendue, subi une diminution de valeur de 80% ;
      • Bob et Alice avaient recouru, au lieu d’une cryptomonnaie classique, à une « stable coin », c’est-à-dire à une cryptomonnaie plus stable, dont le cours est lié à celui d’une monnaie officielle.

      Dans ces hypothèses, il n’est pas exclu de pouvoir invoquer avec succès le caractère imprévisible d’une variation de valeur de grande ampleur.

      b) Bob et Alice peuvent modaliser l’imprévision

      Pour s’assurer que l’article 5.74, et donc la théorie de l’imprévision, s’appliquera à leur situation, Bob et Alice peuvent convenir, dans leur contrat, d’une renégociation obligatoire de celui-ci en cas de variation, à la hause ou à la baisse, de X % de la valeur de la cryptomonnaie.

      c) Bob et Alice peuvent recourir à une stable coin

      Bob et Alice peuvent aussi, pour limiter les risques liés à la conclusion d’un contrat moyennant un paiement en cryptomonnaie, recourir à une stable coin, par définition, beaucoup plus stable qu’une cryptomonnaie classique telle que le Bitcoin ou l’Ethereum.

      Ce raisonnement doit cependant être nuancé à la lumière de la récente chute de la valeur de l’USDC, une stable coin liée au cours du Dollar américain, ayant fait suite aux fermetures des Silicon Valley Bank et Signature Bank.

      d) Bob et Alice peuvent fixer le prix dans une monnaie ayant cours légal

      Bob et Alice peuvent, par exemple, convenir d’un prix établi en Euro tout en convenant qu’il sera payable par équivalent en cryptomonnaie, selon une clé de conversion convenue entre eux. 

      2. Quid si Bob et Alice ont contracté en cryptomonnaie en parfaite connaissance de cause et souhaitent assumer les risques inhérents à cette « monnaie » ?

      Quels moyens ont-ils à leur disposition ?

      Bob et Alice peuvent renoncer contractuellement l’application de l’article 5.74 et ainsi exclure la révision du contrat pour changement de circonstances, dans le but de s’assurer de l’inapplicabilité de la théorie de l’imprévision.

      Une telle clause, cependant, serait susceptible d’être écartée par un juge aux motifs suivants :

      • la bonne foi liée à l’exécution des conventions, qui justifierait qu’un juge admette l’imprévision s’il estime qu’exécuter le contrat de bonne foi doit impliquer l’admission de l’imprévision ;
      • l’abus de droit, dans la mesure où un juge pourrait considérer qu’une partie abuse de son droit en invoquant le bénéfice d’une telle clause au vu, notamment, des conséquences néfastes causées à l’autre partie en n’admettant pas l’imprévision ;
      • ladite clause constituerait une clause « abusive » sens du Code de droit économique, c’est-à-dire une clause qui emporterait un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations de chaque partie, dans le cadre d’un rapport impliquant un consommateur et une entreprise ou deux entreprises.

      ***

      Notre droit ne prévoyant pas (encore) de règles régulant l’usage des cryptomonnaies, la prudence est de mise.

      Une réflexion consciencieuse et au cas par cas s’impose avant de conclure un contrat impliquant de la cryptomonnaie, afin de laisser le moins de marge possible aux hasards de l’économie…

      Aurore PALMISANO

      Rédaction