A qui appartient l’espace ?
Questions relatives au droit de l’espace.
1. Lorsque l’astronome amateur ou professionnel contemple le ciel, il ne peut s’empêcher de songer aux origines de l’univers… Pourquoi le Big Bang ? La vie existe-t-elle ailleurs ? L’homme pourra-t-il un jour atteindre des planètes lointaines et inexplorées ?…
Mais il est plus rare qu’on se demande à qui appartient l’espace.
Cette question et toutes les interrogations relatives à l’activité humaine sont assez récentes puisque ce n’est qu’en 1957, année de la première satellisation (celle de Spoutnik 1), qu’elles ont commencé à agiter les milieux intéressés.
Très rapidement, les juristes ont entamé une réflexion sur la manière de régir l’activité humaine dans l’espace extra-atmosphérique : à qui appartient l’espace ? Quelle loi lui appliquer ? Quel serait le tribunal compétent en cas de litige ?
Dans le contexte de guerre froide qui fut celui des débuts de l’exploration spatiale, c’est logiquement la question de la souveraineté de l’espace qui a alimenté les premières discussions. Le drapeau planté par Neil Armstrong sur la lune le 20 juillet 1969 permet-il aux Etats Unis de revendiquer une possession sur le satellite de la terre ? Qu’en est-il du sol martien foulé par le rover de la NASA « Curiosity » ?
2. C‘est le 27 janvier 1967 que fut signé par plusieurs Etats, dans le cadre de l’Organisation des Nations-Unis, le premier texte juridique contraignant consacré à l’espace : le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (dit « Le Traité de l’espace »)[1].
le Traité de l’espace a permis d’établir certains principes généraux que l’humanité s’est engagée à ne jamais transgresser.
Le premier de ces principes est que l’espace extra-atmosphérique, en ce compris la lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale en aucune manière. C’est le principe de base régissant toute activité humaine dans l’espace : aucun Etat ne peut prétendre posséder une quelconque portion de l’espace ou un corps céleste, quel qu’il soit.
Guerre froide oblige, le Traité de l’espace a aussi été l’occasion de s’accorder sur un second principe fondamental : celui de la non-militarisation de l’espace. Ceci signifie que l’exploration spatiale ne peut avoir qu’un but pacifique. Il est ainsi totalement prohibé de mettre sur orbite des armes de destruction massive ou des armes nucléaires, par exemple, l’idée étant que l’exploration spatiale ne peut et ne doit contribuer qu’à la recherche scientifique et au développement de l’humanité.
Outre ces deux principes fondateurs, le Traité de l’espace a également imposé diverses obligations aux Etats signataires du Traité.
Ainsi, il existe une obligation d’assistance mutuelle entre les Etats en cas d’accident spatial. Les Etats doivent aussi exercer leur contrôle et leur juridiction sur chacun des objets qu’ils envoient dans l’espace. Ils sont encore seuls responsables des dommages que peuvent causer ces objets à toute partie tierce.
3. Ce texte de base a ensuite été suivi de plusieurs autres instruments juridiques internationaux (adoptés par l’Assemblée Générale des Nations Unies) afin de régir des questions plus spécifiques auxquelles sont confrontés les Etats ayant développé une activité spatiale[2] :
- L’Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (Conclu à Washington, Moscou et Londres le 22 avril 1968) ;
- La Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux (Conclue à Londres, Moscou et Washington le 29 mars 1972) ;
- La Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra- atmosphérique (Conclue à New York le 12 novembre 1974) ;
- L’Accord régissant les activités des Etats sur la lune et les autres corps célestes (conclu le 5 décembre 1979).
4. Au-delà, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté de nombreux autres principes et fait des déclarations relativement à d’autres aspects de l’activité humaine dans l’espace, tels que l’usage de satellites artificiels aux fins de diffusions audiovisuelles, l’observation de la surface terrestre à partir de l’espace, l’utilisation de sources d’énergie nucléaire dans l’espace, etc.
5. L’espace n’est donc pas une zone de non-droit et des règles strictes doivent être respectées si on veut y développer une activité quelconque.
Ces dernières années, l’application de ces réglementations de base a été confrontée à l’émergence d’autres acteurs importants aux cotés des Etats : les entités non- gouvernementales (i.e. entreprises privées).
Le Traité de l’espace imposait déjà à toute entité non gouvernementale désireuse d’entamer une activité spatiale quelle qu’elle soit, d’obtenir une autorisation préalable de la part de l’Etat concerné et de faire l’objet d’une surveillance continue de celui-ci.
La nouveauté réside aujourd’hui dans le fait que les principes de base précités ( la non-appropriation de l’espace ainsi que son utilisation à des fins exclusivement scientifiques) sont ouvertement remis en cause par l’émergence d’activités économiques nouvelles portées par ces entités non gouvernementales : tourisme de l’espace, exploitation des ressources naturelles…
6. Les Etats-Unis d’Amérique semblent être les plus assidus dans la remise en cause des principes fondamentaux établis par le Traité, et ceci, notamment, depuis l’adoption par le Congrès américain du « Space act of 2015 ».
De son nom complet « Spurring Private Aerospace Competitiveness and Entrepreneurship Act of 2015 », cette loi a pour ambition d’autoriser les citoyens américains à entreprendre l’exploration et l’exploitation commerciale des ressources spatiales, quelles qu’elles soient.
Or, qui dit exploitation dit prise de possession et donc privatisation de ce qui n’était jusqu’alors la propriété de personne ou était un bien commun (res communis) ne pouvant être approprié.
Ce texte affirme, d’une part, le droit des citoyens américains à entamer l’exploitation commerciale de l’espace sans restriction aucune et, d’autre part, il précise que cette activité doit être menée conformément aux obligations internationales des Etats Unis et sous la supervision continue du Gouvernement fédéral.
Certains juristes ont considéré que cette loi est en contradiction directe avec les principes fondateurs du Traité de l’espace et qu’elle était même dangereuse[3]. Pourtant, la loi américaine précise aussi qu’en adoptant ce texte, les Etats Unis n’affirment aucune souveraineté, aucun droit exclusif ou droit de propriété sur un corps céleste.
Il est aujourd’hui difficile d’apprécier comment on pourra concilier le principe de non-appropriation de l’espace et l’envie d’en entamer exploitation commerciale. D’aucuns estiment déjà que le Space Act est une boîte de Pandore et que le facteur économique va supplanter l’intérêt scientifique dans le déroulement futur de l’exploration spatiale[4].
Espérons que ceci ne se fera pas au détriment de la recherche scientifique et ne troublera pas le regard émerveillé de celui qui contemple le ciel…
Avril 2017
[1] Traité du 27 janvier 1967 sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes disponible sur http://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf
[2] Disponibles sur http://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf
[3] Gbenga Oduntan, Who owns space? US asteroid-mining act is dangerous and potentially illegal, The Conversation, November 25, 2015, https://theconversation.com/who-owns-space-us-asteroid-mining-act-is-dangerous-and-potentially-illegal-51073
[4] The Global Europe Anticipation Bulletin, Conquest of space and multipolarity – Shooting Star Wars, GEAB No 106 / June 2016 accessible sur http://geab.eu/the-conquest-of-space-and-multipolarity-shooting-star-wars-2/