L’entreprise et la circulation routière – 509,60 €

L’entreprise et la circulation routière – 509,60 €

« Parquet du Procureur du Roi – section Parquet de Police

Chère Madame, Cher Monsieur,

Votre entreprise a reçu une demande de renseignements pour identifier le conducteur qui a commis une infraction routière. Vous n’avez donné aucune suite à ces demandes.

Le ministère public vous soumet donc une proposition de transaction. »

En novembre dernier, bon nombre de sociétés se sont étonnées de recevoir du parquet de police une « proposition de transaction » d’un montant de 509,06 € pour infraction à l’article 67ter de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière (LPCR).

Initiative du « nouveau » parquet national pour la sécurité routière (crée par la loi du 23 décembre 2021), l’envoi de ces « propositions » avait de quoi surprendre, en effet, dès lors que les infractions concernées (des excès de vitesse, la plupart du temps) avaient été commises parfois plus d’un an auparavant que le montant de la « perception immédiate » s’y rapportant, bien souvent, avait été réglé.

Pourquoi de telles « propositions de transaction » et à quoi s’attendre en cas d’abstention de payer la somme réclamée, ont dû se demander les heureux destinataires de ces sympathiques missives…

Certes, les chefs d’entreprise connaissent (et à tout le moins sont censés connaitre) l’obligation de renseigner le conducteur du véhicule de société qui a commis une infraction au code de la route ou aux règlements relatifs à la Police de la Circulation Routière (art. 67 ter LPCR). Mais il est fréquent, pourtant, que, soit ils oublient de s’y conformer, soit, de bonne foi, ils estiment inutile de le faire, ayant eux-mêmes commis l’infraction avec l’unique véhicule de leur société unipersonnelle, ou ayant déjà payé le montant de l’amende.

Les avocats aussi se sont étonnés de cet envoi massif, alors que les destinataires des transactions n’avaient reçu aucun rappel à l’ordre préalable.

Certains  ont donc suggéré à leurs clients de ne pas en   payer le montant  et d’en contester le bienfondé  devant le tribunal de police, au motif que, selon leur analyse,  le paiement préalable de l’amende relative à l’infraction initiale avait éteint l’action publique (et donc mis fin aux poursuites)  ; d’autres, à l’inverse, ont considéré que l’infraction à l’article 67 ter de la LPCR était indépendante de l’infraction initiale (un excès de vitesse, par exemple) et ont invité leurs clients à payer la transaction  dans l’attente des premières décisions que rendraient ces tribunaux de police.

Cependant, confronté à de très nombreuses contestations, le parquet national, chargé du suivi administratif des amendes routières, a décidé de suspendre l’envoi de ces « propositions de transaction », sans toutefois préciser la suite qu’il réserverait aux propositions déjà envoyées…

Cela étant dit et quelle que soit l’issue de ce feuilleton judiciaire, il offre l’occasion de rappeler brièvement (i) le contenu de l’article 67 ter LPCR, (ii) quelle sanction s’applique s’il n’est pas respecté et (iii) le parcours administratif de l’amende avant que le tribunal de police soit éventuellement saisi.

  1. De l’infraction au portefeuille

Qu’elle soit commise par un dirigeant de société ou par un de ses employés et quelle que soit l’infraction concernée (excès de vitesse, conduite avec un téléphone en main, conduite sous influence etc.), l’art 67 de la LPCR prévoit que, lorsqu’une infraction est commise par un véhicule immatriculé au nom d’une société, cette société doit, à la réception du procès-verbal, communiquer l’identité du conducteur qui n’a pu être identifié au moment du constat de l’infraction.

Dit de manière concrète, la société doit renvoyer au parquet de police dans un délai de 15 jours le formulaire d’identification du conducteur joint au procès-verbal ou l’identifier sur le site www.amendesroutières.be à l’aide du numéro de procès-verbal et du code d’indentification qui y est renseigné et ce, même en cas de paiement de l’amende routière réclamée dans la demande de perception immédiate.

A défaut d’identification, le parquet dispose d’une totale liberté pour proposer (ou non) à la société une transaction (laquelle, en cas de paiement, met fin à l’action publique fondée sur l’article 67 ter LPCR). C’est dans ce cadre que le parquet national pour la sécurité routière, en novembre dernier, a adressé, en masse, des « propositions de transactions » à des centaines d’entreprises.

Si l’entreprise entend contester l’infraction, il lui est loisible de le faire « en ligne » en communiquant le nom du conducteur et en expliquant les raisons pour lesquelles l’identification du conducteur n’a pas été faite. Là encore, le parquet conserve un total pouvoir d’appréciation et, s’il n’accueille pas favorablement la contestation, adresse à la société un ordre de paiement dont le montant est majoré de 35 % par rapport à celui de la transaction, ainsi que d’une redevance administrative (art. 65/1 de la LPCR).

Cet ordre est transmis par envoi recommandé ou par pli judiciaire et est réputé avoir été reçu le dixième jour ouvrable après la date mentionnée sur l’ordre. La loi prévoit que le paiement doit être effectué dans un délai de 30 jours à compter de sa réception.

  • Recours

A la réception de l’ordre de paiement, la société ou son avocat disposent d’un délai de 30 jours pour introduire un recours contre devant le tribunal de police. La requête doit être motivée et, si elle est déclarée recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu.

Le tribunal examine, au fond, l’infraction qui a justifié l’ordre de paiement et, si celle-ci s’avère établie, il fait application de la loi pénale. Dit autrement, si l’infraction à l’article 67 ter LPC est avérée, la sanction prévue par la loi est une peine d’emprisonnement de 15 jours à six mois et d’une amende de 800 € à 16.000 €, ou d’une de ces peines seulement. Ces peines sont doublées en cas de récidive dans les trois ans.

Il va de soi que l’avocat chargé d’assurer la défense de la société devant le Tribunal ne manquera pas, si les éléments matériels du dossier le permettent, de contester l’infraction à l’article 67 ter et de plaider l’acquittement, ou, s’il ne dispose pas d’éléments suffisant pour contester l’infraction, de demander une suspension de prononcé, l’application d’un sursis etc. Ses honoraires seront pris en charge par son assureur de protection juridique.

  • Ordre de paiement non payé et non contesté

La LPCR dispose enfin que les ordres de paiement impayés, contre lesquels aucun recours n’a été formé, et qui sont donc exigibles, sont déclarés exécutoires par le Procureur du Roi ou le juriste de parquet mandaté par lui.

Concrètement, les montants réclamés dans cet ordre de paiement dont le recouvrement est réalisé par le Service public fédéral Finances pourra faire l’objet d’une exécution forcée par huissier de justice.

  • L’intérêt pour l’entreprise à identifier le conducteur

A la lecture de ces quelques lignes, le dirigeant d’entreprise aura compris l’intérêt qu’il y avait à renseigner le conducteur d’un véhicule de sa société impliqué dans la commission d’une infraction au code de la route, et ce même si le dirigeant lui-même est le conducteur impliqué et même si la « perception immédiate » a été payée.

Si l’identification a été réalisée dans les délais, le conducteur qui a commis l’infraction recevra directement l’amende via une demande de perception immédiate, voire une proposition de transaction ou une citation à comparaître devant le tribunal de police en fonction de la gravité de l’infraction.

Si l’entreprise n’a pas identifié le conducteur, elle s’expose, en tant qu’entreprise à une amende distincte de celle liée à l’infraction commise par le conducteur.

  • Nouvelle procédure d’indentification

A ce propos, la procédure d’identification du conducteur a été récemment simplifiée.

Les dirigeants d’entreprises unipersonnelles peuvent désormais se connecter au site justonweb.be/fines via l’eID (lecteur de carte ID) ou la fonctionnalité itsme. Cette application leur permet de consulter l’historique des amendes adressés sur les trois dernières années à leur entreprise, de payer une amende directement par voie numérique, de demander un plan de paiement des amendes pénales, de contester une amende routière mais aussi d’introduire un recours contre un ordre de paiement.

Les autres entreprises, disposant de plusieurs véhicules de société, bénéficient des mêmes fonctionnalités (dont notamment l’identification des conducteurs) ; en suivant la procédure « gestion des rôles » prévue sur la page justonweb.be/fines, elles peuvent attribuer la gestion des amendes à un collaborateur de l’entreprise.

Muriel BOELEN – Avocate au Barreau de Liège – Huy

Rédaction