Faillite d’une société dans les 3 ans de sa constitution – Quelle responsabilité pour le professionnel du chiffre ?

Faillite d’une société dans les 3 ans de sa constitution – Quelle responsabilité pour le professionnel du chiffre ?

I. Introduction

    Lors de la constitution d’une société à responsabilité limitée (SRL), d’une société coopérative (SC) ou d’une société anonyme (SA), la loi impose aux fondateurs d’établir un plan financier.

    Ce plan financier a notamment pour but d’évaluer les besoins en capitaux propres de départ afin de s’assurer que la société disposera des moyens suffisants pour assurer l’exercice normal de l’activité projetée pendant au moins 2 ans. 

    En cas defaillite dans les 3 années qui suivent la constitution, les fondateurs peuvent être tenus solidairement responsables des dettes de la société s’il apparait que les capitaux propres de départ étaient manifestement insuffisants.

    Cette action est généralement intentée par le curateur de la société en faillite.

    En cas de condamnation, il n’est pas rare que les fondateurs tentent de mettre en cause la responsabilité du professionnel du chiffre qui les a assistés dans l’établissement du plan financier afin d’obtenir une indemnisation.

    Interrogée sur la question de la responsabilité d’un professionnel du chiffre dans ce cadre, la Cour d’appel de Gand a récemment conclu à l’absence de faute dans le chef dudit professionnel.

    II. Les faits en cause

      Une société a été déclarée en faillite un an et demi après sa constitution.

      Après examen du plan financier, le curateur a estimé que la société n’avait pas été suffisamment capitalisée à sa constitution, ce qui ne lui a pas permis d’exercer normalement son activité. Le curateur décide donc de poursuivre les fondateurs.

      Ceux-ci sont condamnés, par le Tribunal de l’entreprise de Gand, au paiement solidaire des dettes de la société.

      Les fondateurs décident alors de se retourner contre l’expert-comptable externe qui avait établi le plan financier afin d’obtenir une indemnisation.

      Le Tribunal a estimé que l’expert-comptable était bien responsable, également, de la sous-capitalisation de la société et l’a condamné à indemniser les fondateurs à hauteur de 50% des dettes de la société.

      Le Tribunal a ainsi rappelé que le devoir d’assistance du professionnel du chiffre comprend 2 obligations :

      • L’obligation de contrôle, qui consiste à vérifier l’exactitude des informations communiquées par les fondateurs ;
      • L’obligation de conseil, qui consiste à conseiller les fondateurs quant au contenu du plan financier et d’attirer leur attention sur les risques d’une faillite probable à intervenir.

      S’attachant à l’examen des faits au regard du devoir de conseil, le Tribunal a considéré que l’expert-comptable mis en cause ne démontrait pas qu’il avait signalé aux fondateurs le risque de sous-capitalisation de la société.

      Insatisfait de cette décision, l’expert-comptable a porté le litige devant la Cour d’appel de Gand.

      III. La décision de la Cour d’appel

        Contrairement au Tribunal de l’entreprise, la Cour d’appel de Gand a exonéré l’expert-comptable de toute responsabilité.

        En ce qui concerne l’obligation de contrôle, la Cour a estimé que l’expert-comptable externe s’était valablement exonéré de sa responsabilité par l’insertion d’une mention dans le contrat que le liait aux fondateurs de la société, par laquelle il indiquait que :

        « Cette mission a été exécutée par nos soins dans les règles de l’art et sur la base des informations que vous nous avez communiquées. Comme nous vous l’avons déjà indiqué, nous sommes dans l’impossibilité de vérifier de manière approfondie ces informations et, par conséquent, nous ne pouvons être tenus responsables, directement ou indirectement, des éventuels dommages qui pourraient être causés par des informations incorrectes et/ou incomplètes ».

        En ce qui concerne l’obligation de conseil, l’expert-comptable en cause a, pour la première fois en appel, produit une série de documents démontrant qu’il avait respecté son obligation.

        A l’appui de cette documentation, la Cour d’appel a estimé que l’expert-comptable n’avait pas violé son devoir de conseil, dans la mesure où :

        • Dans le cadre de ses conseils concrets, l’expert-comptable avait tenu compte du niveau de connaissance et d’expérience des fondateurs dans le secteur économique concerné ;
        • Les fondateurs étaient assistés d’une banque spécialisée dans l’accompagnement d’entrepreneurs ; cette banque n’a émis aucune observation quant au plan financier établi par l’expert-comptable, à l’exception d’une remarque sur le chiffre d’affaires projeté au premier trimestre. L’expert-comptable avait adapté le plan financier en tenant compte de cette observation ;
        • L’expert-comptable avait adressé aux fondateurs desremarques explicites quant au problème de liquidité au premier trimestre ; les fondateurs ont, à cet égard, exprimé leur volonté de palier ce manque de liquidité par des avances en compte-courant.

        Selon la Cour, ces éléments permettent de considérer que l’expert-comptable n’a pas manqué à son devoir de conseil, et d’ajouter qu’il ressort des échanges entre les parties que, malgré les avertissements du professionnel du chiffre, les fondateurs ont absolument voulu constituer la société sur la base du plan financier critiqué. La Cour estime qu’ils ne peuvent dès lors se décharger de leur propre négligence sur l’expert-comptable.

        IV. Qu’en retenir ?

          La responsabilité du professionnel du chiffre en cas de défaillance du plan financier et de faillite dans les 3 premières années d’activité d’une société est une question d’analyse factuelle de la situation.

          Les professionnels du chiffre qui accompagnent de futurs fondateurs de SRL, SC ou SA dans l’établissement de leur plan financier doivent impérativement se ménager la preuve qu’ils ont respecté leurs obligations.

          Plus particulièrement, l’on retiendra que :

          • En ce qui concerne l’obligation de contrôle, les professionnels du chiffre ont tout intérêt à insérer, dans leurs échanges avec leurs clients, une clause d’exonération de responsabilité relative à l’analyse de l’exactitude des informations communiquées ;
          • En ce qui concerne l’obligation de conseil, les professionnels du chiffre devront impérativement se ménager la preuve qu’ils ont attiré l’attention de leurs clients sur les risques que présenterait le plan financier et, à nouveau, s’exonérer de toute responsabilité quant aux éventuels dommages qui surviendraient en cas de volonté des fondateurs de poursuivre la constitution de la société en dépit du risque évoqué.

          A défaut, le professionnel du chiffre, confronté à une situation similaire à celle traitée par la Cour d’appel de Gand, pourrait voir sa responsabilité professionnelle engagée à l’égard des fondateurs de la société en faillite.

          Rédaction