Transfert d’entreprise : l’entreprise passe, les travailleurs restent !
Les acteurs économiques, en constante évolution, peuvent rechercher des opportunités de diversification et de développement, qui les amènent à acquérir de nouvelles entreprises, à les céder, à les fusionner ou à les scinder.
Quel est le sort des travailleurs lorsque l’entreprise qui les emploie disparait, fusionnée ou cédée à une autre entité économique ? La réponse à cette question est encadrée par la convention collective de travail n° 32bis, qui vise à protéger les droits des travailleurs dans de telles situations impliquant un changement d’employeur.
Nous nous intéresserons ici aux transferts conventionnels d’entreprises, c’est-à-dire aux cessions qui sont le fruit d’un contrat entre un cédant et un cessionnaire, en l’absence de faillite ou d’une procédure de réorganisation judiciaire.
1. Champ d’application de la C.C.T. n°32 bis
La C.C.T. n°32 bis du 7 juin 1985 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’un transfert conventionnel d’entreprise a été conclue, sous l’impulsion de l’Union européenne, dans le but de préserver les droits des travailleurs.
Pour qu’il y ait transfert d’entreprise au sens de la C.C.T. n°32 bis, 3 conditions doivent être réunies :
- Un changement d’employeur, c’est-à-dire de la personne, morale ou physique, qui exécutera les obligations nées de la signature et de l’exécution des contrats de travail.
- Un transfert d’entreprise, que l’article 6, al. 2 de la C.C.T. n°32 bis définit comme étant « le transfert d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire ».
- Un accord de volonté entre l’employeur cédant cette entité et le cessionnaire qui poursuit l’activité.
2. Protections consacrées par la CCT 32bis
- Transfert des contrats de travail
Les contrats de travail existant au moment du transfert de l’entreprise sont automatiquement transférés au cessionnaire.
Ainsi, les droits et obligations du cédant, découlant des contrats conclus avec ses travailleurs, sont transférés au cessionnaire.
Cela implique le maintien, après le transfert de l’entreprise, des conditions de travail qui étaient en vigueur avant celui-ci. Les conditions individuelles de travail et de rémunération, ainsi que les conditions collectives de travail, visées par le règlement de travail ou les conventions d’entreprise, demeurent inchangées.
Il est donc tout à fait possible que des travailleurs de l’entreprise cédée, une fois au sein de l’entreprise cessionnaire, cumulent les avantages acquis chez leur ancien employeur et ceux octroyés par leur nouvel employeur !
- Le transfert d’entreprise et, donc, le changement d’employeur, ne constitue pas un motif de licenciement
La cession de l’entité économique ne constitue pas en soi un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Afin d’assurer le maintien de la relation de travail, une protection contre le licenciement est accordée au travailleur transféré ; il est donc interdit de licencier un travailleur en raison du transfert lui-même. Il revient au juge de déterminer si un licenciement trouve son motif dans le transfert de l’entreprise. S’il conclut que le licenciement est lié au transfert, l’employeur devra indemniser le travailleur.
La jurisprudence considère que les licenciements effectués pendant les discussions sur un possible transfert d’entreprise sont suspects, car ils peuvent indiquer une tentative d’échapper aux obligations imposées par la directive européenne et la C.C.T. n° 32bis. Ainsi, dans un arrêt du 11 janvier 2022, la Cour du travail de Bruxelles (C. Bruxelles, 11 janvier 2022, R.G. 2020/AB/763, voy. https://www.terralaboris.be/spip.php?article3376)a établi un lien entre le licenciement d’un travailleur et le transfert d’entreprise, bien que le licenciement ait eu lieu bien avant la cession. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a notamment pris en compte le fait que le travailleur avait tenté de discuter avec son employeur de la poursuite de leur collaboration, qui semblait remise en question par le transfert. Elle a estimé que le licenciement était en lien avec ces discussions.
- Responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire
Le cédant et le cessionnaire sont tous deux tenus du paiement des dettes découlant des contrats de travail au moment du transfert de l’entreprise. Si des salaires, primes ou pécules restent impayés au moment de la cession, les travailleurs pourront en réclamer paiement tant au cédant qu’au repreneur.
Notre conseil….
Que vous décidiez d’acquérir ou de céder votre entreprise ou division de celle-ci, il est essentiel de tenir compte du régime établi par la C.C.T. n° 32bis.
- Si vous souhaitez céder votre entreprise gardez à l’esprit que …
- Il est risqué de licencier des travailleurs avant ou au moment du transfert. En cas de licenciement, vous devrez être en mesure de démontrer que le licenciement est motivé par une cause distincte de la cession de l’entreprise.
- vous restez redevable des dettes sociales (connues ou non) existant au moment de la cession. Le fait de céder votre entreprise ne vous dispense pas du respect de vos obligations envers vos travailleurs (et le cessionnaire, d’ailleurs…) ;
- Si vous souhaitez acquérir une entreprise …
- réalisez un audit minutieux de la situation de l’entreprise, en incluant les aspects sociaux :
- Consultez, entre autres, les contrats et le règlement de travail de travail pour vérifier leur contenu et les droits qu’ils confèrent aux travailleurs ;
- Vérifiez que l’employeur ne vous abandonne pas un passif social imprévu ;
- n’oubliez pas qu’acquérir l’entreprise, c’est aussi reprendre ses travailleurs et respecter leurs droits acquis !
- réalisez un audit minutieux de la situation de l’entreprise, en incluant les aspects sociaux :