La réforme du droit de l’insolvabilité : quand nouveauté rime avec complexité
Après avoir connu plusieurs réformes ces dernières années[1], le droit des entreprises en difficultés connaît aujourd’hui un nouveau bouleversement majeur, suite à l’adoption de la loi du 7 juin 2023 « transposant la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132 et portant des dispositions diverses en matière d’insolvabilité », publiée au Moniteur belge du 7 juillet 2023.
Comme son nom l’indique, cette loi – dont l’entrée en vigueur a été fixée par le législateur au 1er septembre 2023 et qui s’applique aux procédures d’insolvabilité ouvertes à compter de cette date – a pour objectif de transposer (certes tardivement !), dans notre droit national, la directive 2019/1023.
L’objectif de la réforme est triple : il s’agit de s’assurer que (i) les entreprises viables et les entrepreneurs en difficultés financières aient accès à des cadres de restructuration préventive efficaces, qui leur permettent de poursuivre leurs activités et que (ii) les entrepreneurs honnêtes insolvables ou surendettés bénéficient d’une remise de dettes totale au terme d’un délai raisonnable, de manière à leur offrir une seconde chance, tout en veillant à ce que (iii) l’efficacité des procédures soit améliorée, notamment afin de raccourcir leur durée.
Le droit des entreprises en difficultés, tel que modifié en droit belge par cette nouvelle loi, connaît de profondes mutations, avec notamment un renforcement des pouvoirs de la Chambre des Entreprises en difficultés (au stade de la « prévention ») et une multiplication des procédures d’insolvabilité (au stade de la « restructuration » ou de la « liquidation »).
Ainsi, depuis le 1er septembre 2023, une entreprise en difficultés peut désormais avoir recours à l’arsenal de procédures d’insolvabilité suivantes[2] :
- L’accord amiable hors procédure de réorganisation judiciaire ;
- La procédure de réorganisation judiciaire publique :
- La PRJ publique par accord amiable ;
- La PRJ publique par accord collectif :
- La PRJ publique par accord collectif applicable aux petites et moyennes entreprises ;
- La PRJ publique par accord collectif applicable aux grandes entreprises ;
- La procédure de réorganisation judiciaire privée :
- La PRJ privée par accord amiable ;
- La PRJ privée par accord collectif :
- La PRJ privée par accord collectif applicable aux petites et moyennes entreprises ;
- La PRJ privée par accord collectif applicable aux grandes entreprises ;
- La procédure de transfert sous autorité judiciaire ;
- La procédure de préparation privée d’une faillite ;
- La faillite.
Nous dirons un mot de chacune des procédures précitées, sans toutefois aborder de manière exhaustive les modifications apportées par la loi commentée.
L’accord amiable hors PRJ
L’accord amiable, procédure peu usitée en pratique (qu’il soit préparé en dehors ou dans le cadre d’une PRJ), peut désormais être proposé par le débiteur en difficultés à un seul créancier, là où avant il en fallait au minimum deux. Il s’agit d’une modification louable et qui permettra d’éviter la pratique, pour certaines entreprises en difficultés, consistant à faire appel à un second créancier « ami » dont la présence avait pour seul objectif de répondre à l’exigence légale relative au nombre de créanciers impliqués par l’accord.
La procédure de réorganisation judiciaire
Double objectif
La procédure de réorganisation judiciaire peut être sollicitée dans la perspective de la conclusion d’un accord amiable (accord avec un ou plusieurs créanciers) ou d’un accord collectif (accord des créanciers sur un plan de réorganisation d’une durée maximale de 5 ans). Il y a donc désormais deux types de PRJ, et plus trois comme c’était le cas jusqu’ici (voir ci-dessous).
Procédure publique versus privée
L’une des nouveautés consiste en un « dédoublement » des procédures de réorganisation judiciaire, qui peuvent tantôt être publiques, tantôt privées.
La procédure est publique lorsque le débiteur bénéficie nécessairement d’un sursis général et qu’elle fait, comme son nom l’indique, l’objet d’une publicité. Il s’agit, en quelque sorte, du successeur de la PRJ telle qu’existait sous l’ancienne version du Livre XX, sous réserves de diverses modifications dues à la transposition de la directive.
La PRJ privée est une nouveauté insérée par la loi du 7 juin 2023, et qui remplace l’accord préparatoire introduit par la loi du 21 mars 2021. Cette fois, le législateur crée une procédure intégralement confidentielle, à la différence de la procédure mise en place dans le cadre de l’accord préparatoire au cours de laquelle le débiteur, après avoir préparé de façon confidentielle un accord amiable ou un accord collectif avec l’assistance d’un mandataire de justice, se voyait octroyer le bénéfice d’une PRJ « accélérée » (avec la publicité qui y est attachée), en vue de finaliser l’adoption de l’accord amiable ou d’obtenir le vote du plan de réorganisation judiciaire.
La PRJ privée se distingue encore de l’accord préparatoire par le fait qu’elle peut également être introduite à la requête d’un créancier ou d’un détenteur de capital (là où l’accord préparatoire ne pouvait être introduit que par requête unilatérale du débiteur en difficultés) et qu’elle ne peut viser que certains créanciers, même dans le cadre d’un accord collectif.
Cette procédure privée se déroule en deux phases entièrement confidentielles, ce qui permet d’éviter les effets délétères liés à la publicité de la procédure : (i) la première vise à obtenir la désignation d’un praticien de la réorganisation qui mènera, avec le débiteur, les négociations avec le(s) créancier(s) concerné(s), tandis que (ii) la seconde vise à obtenir l’homologation de l’accord (qu’il s’agisse d’un ou plusieurs accords amiables ou d’un accord collectif).
Régime PME versus grandes entreprises
La PRJ par accord collectif connaît encore une modification importante, puisque deux régimes distincts sont désormais prévus : un régime – optionnel – applicable aux PME et un tout nouveau régime – obligatoire – applicable aux grandes entreprises.
Dans le premier régime applicable par défaut aux PME, le vote du plan se fait (comme c’était le cas avant le 1er septembre 2023) à la double majorité, en ce sens que le plan est tenu pour approuvé lorsqu’il recueille le vote favorable de la majorité des « créanciers » représentant, par leurs créances, la moitié de toutes les sommes dues en principal et intérêts.
La procédure mise en place pour les grandes entreprises[3] se distingue nettement du régime PME et repose sur la création, obligatoire, de classes de créanciers. Ce régime s’applique obligatoirement aux grandes entreprises, mais également aux PME qui peuvent, au moment du dépôt de la requête en PRJ (et à ce moment-là uniquement), choisir d’opter pour le régime « grandes entreprises ».
Le transfert sous autorité judiciaire
L’ancienne procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice, renommée « transfert sous autorité judiciaire », quitte la catégorie des PRJ et bascule dans celle des procédures de liquidation, et ce pour répondre aux critiques notamment formulées par la Cour de justice de l’union européenne dans son arrêt Plessers du 16 mai 2019, sur lesquelles il serait trop long de revenir ici.
Le transfert est considéré comme une procédure d’insolvabilité indépendante dont l’objectif final est la liquidation du patrimoine du débiteur. En effet, à l’issue de la procédure (soit une fois que le transfert a eu lieu), le sort de l’entreprise est définitivement scellé : elle devra nécessairement être déclarée en faillite ou en liquidation.
La préparation privée d’une faillite
Il s’agit d’une nouvelle procédure qui permet à l’entreprise qui s’estime en état de faillite de demander au Tribunal, avant de prononcer sa faillite, de préparer celle-ci ou, plus précisément, de préparer le transfert de ses actifs.
L’objectif de cette procédure – au cours de laquelle sont désignés un curateur potentiel et un juge-commissaire potentiel – est de permettre au maximum le maintien de la valeur des actifs. La procédure vise à préparer le transfert, dans la confidentialité, pour une période de 30 jours, prorogeable une fois, étant entendu qu’il ne s’agit que de « préparatifs ». En effet, le transfert n’aura lieu qu’après le prononcé de la faillite, suivant les règles propres à cette procédure et sous le contrôle du Tribunal.
La faillite
La nouvelle loi renforce encore le principe de la seconde chance (encore appelé « fresh start »), en ce qu’elle supprime l’obligation pour le failli personne physique de demander son effacement (que ce soit dans son aveu de faillite ou par requête au plus tard trois mois après la publication du jugement déclaratif de faillite). L’effacement sera donc accordé au failli de manière automatique, à la clôture de la faillite (sans possibilité de demande d’effacement anticipé) : le Tribunal ne pourra apprécier le bienfondé de cette demande, sauf en cas d’opposition à l’effacement formulée par requête d’un créancier, du Ministère public ou du curateur.
Cette réforme – louable à bien des égards – complexifie davantage le droit des entreprises en difficultés, matière déjà pourtant ardue pour le « profane ». Plus encore que par le passé, l’entreprise en difficultés sera bien inspirée de s’entourer des conseils d’un spécialiste. Dans cette matière, peut-être davantage encore que dans d’autres, l’avocat est, comme le dit l’adage, quelqu’un qu’il faut voir avant pour éviter les ennuis après …
[1] Voy. la loi 11 août 2017 portant insertion du Livre XX « Insolvabilité des entreprises » dans le Code de droit économique, entrée en vigueur le 1er mai 2018, qui abroge la loi du 31 janvier 2019 relative à la continuité des entreprises et la loi du 8 août 1997 sur les faillites, ainsi que la loi du 21 mars 2021 portant modifications du Livre XX, adoptée dans le contexte de la crise de Covid-19 et qui avait notamment pour objectifs d’introduire la procédure dite d’ « accord préparatoire » et d’alléger les conditions d’ouverture de la PRJ. Cette seconde loi a fait l’objet d’un commentaire dans notre newsletter #16 d’avril 2021.
[2] L’accord amiable hors PRJ et la PRJ (tant publique que privée) sont considérés comme des procédures de restructuration, tandis que le transfert sous autorité judiciaire, la préparation privée d’une faillite et la faillite sont des procédures de liquidation.
[3] Sont considérées comme des grandes entreprises les sociétés, associations ou fondations qui excèdent un ou plusieurs des critères suivants pendant deux exercices comptables consécutifs :
- Moyenne annuelle du nombre de travailleurs : 250 ;
- Chiffre d’affaires annuel hors TVA : 40.000.000 EUR ;
- Total du bilan : 20.000.000,00 EUR.
En outre, échappent également à la notion de PME, les entreprises entre lesquelles il existe une relation de filiation si ces entités dans leur ensemble dépassent les seuils précités.