Contrat et responsabilité : questions choisies

19 octobre 2023 – Centre IFAPME – Liège

Pendant longtemps, le droit a réservé aux personnes exerçant une profession réglementée ou à caractère « libéral » un traitement différencié, voire privilégié, par rapport à d’autres opérateurs économiques, assimilés, pour la plupart, à des « commerçants ».

Durant ces dix dernières années, cependant, sous l’impulsion du droit européen, les choses ont radicalement changé : les prestataires de services à caractère intellectuel, même si la loi leur reconnaît encore certaines spécificités, sont assimilées, sans exception, à des « entreprises », maître mot du droit économique actuel.

Qu’ils exercent en personne physique ou sous le couvert d’une personne morale, les géomètres-experts n’échappent pas à la règle : ils sont assimilés à des entreprises et, à ce titre, sont soumis à un nombre important de contraintes légales et réglementaires dont parfois ils ne soupçonnent pas l’existence.

La formation proposée a pour objectif d’aider les géomètres-experts à s’intégrer à ce nouvel environnement et à y adapter leurs pratiques en tentant de concilier les règles spécifiques qui régissent leur profession avec les obligations qui s’imposent à toute entreprise dans ses relations avec ses clients.

La formation s’articulera autour des trois axes majeurs suivants :

  • L’examen du statut légal de géomètre-expert, tel qu’il résulte de la loi du 11 mai 2003 protégeant le titre et la profession, l’incidence de ce statut sur ses obligations et sa responsabilité, ainsi les changements que la loi du 9 février 2023 (publiée mais non encore en vigueur) est susceptible d’induire ;
  • L’examen des principales règles que le Code de droit économique belge et le nouveau Code civil imposent au géomètre-expert, considéré comme une « entreprise », dans sa relation avec ses clients, aussi bien avant la formation du contrat que postérieurement, au moment de son exécution ;
  • Les principales zones de risques de mise en cause de sa responsabilité civile dans l’exercice de ses missions, qu’il s’agisse, ou non, de celles que la loi lui réserve.

L’exposé sera illustré de cas pratiques et soutenu par un débat interactif entre l’orateur et les participants.

Rédaction

Introduction

Jean-Claude Juncker, président de la Commission entre 2014 et 2019, annonçait, en mai 2015, une politique visant à instaurer au sein de l’Union un « marché unique numérique ». A cette occasion, il a affirmé que :

« La Commission fera, avant la fin de 2015, une proposition modifiée qui (i) concernera des règles harmonisées de l’UE applicables aux achats de contenus numériques en ligne et (ii) permettra au vendeur de se prévaloir de la législation nationale, basée sur un socle commun ciblé de droits contractuels impératifs de l’UE, applicables aux ventes de biens matériels en ligne, qu’elles soient nationales ou transfrontières »[1].    . 

C’est dans le cadre de cette stratégie  que la Commission a proposé, en décembre 2015, deux nouvelles directives liées à la protection du consommateur.

Celles-ci ont été adoptées et promulguées en mai 2019 :

  • Directive 2019/770 du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques[2] ;
  • Directive 2019/771 du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens[3].

2.

Ces directives ont pour objectif d’harmoniser la protection des consommateurs dans l’ère du numérique et notamment en ce qui concerne la vente ou la fourniture de services, biens et contenus numériques.

La première directive s’applique à la fourniture (ou l’engagement de fourniture) par un professionnel de contenus numériques, y compris sur un support matériel, ou de services numériques, à un consommateur (ex : vidéo à la demande, streaming, applications, jeux vidéo, stockage sur un cloud, …), tandis que la seconde directive a une portée plus large puisqu’elle s’applique à tous les contrats de vente de biens proposés aux consommateurs dont les biens comportant des éléments numériques, qui requièrent un contenu numérique ou un service numérique pour fonctionner (ex : thermostat intelligent, smartphone, montre connectée, …).

Dans les deux cas, les directives définissent un socle commun de droits en faveur des consommateurs tels que les règles relatives à la conformité des biens avec le contrat, aux recours en cas de défaut de conformité, aux modalités d’exercice de ces recours et aux garanties commerciales.

3.

Les directives ont été transposées en droit belge le 31 mars 2022 par une loi du 20 mars 2022 qui est entrée en vigueur le 1er juin 2022[4].

La transposition des directives a principalement abouti à une modification de du Code civil avec, d’une part, une refonte et une modernisation de la Section IV du Chapitre III du Titre VI intitulée « Dispositions relatives aux ventes à des consommateurs » comprenant les articles 1649bis et suivants, et d’autre part, à l’insertion d’un nouveau Titre VIbis intitulé «Des contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques ».

La modification dans le Code civil des « Dispositions relatives aux ventes à des consommateurs »

4.

Pour l’essentiel, il s’agissait d’intégrer la dimension numérique à cette section consacrant la protection des droits des consommateurs.

L’article 1649bis énonce désormais que sont considérés comme des biens de consommation, au-delà des bien de consommation usuels (machines à lessiver, mobilier, téléviseur, …etc.)  « tout bien comportant des éléments numériques, étant tout objet mobilier corporel qui intègre un contenu numérique ou un service numérique ou est interconnecté avec un tel contenu ou un tel service d’une manière telle que l’absence de ce contenu numérique ou de ce service numérique empêcherait ce bien de consommation de remplir ses fonctions ».

Sont notamment définis la notion de « contenu numérique » et celle de « service numérique ».

Cette section du Code civil est désormais également applicable « aux contenus numériques ou aux services numériques qui sont intégrés ou sont interconnectés avec des biens de consommation (…) et qui sont fournis avec ces biens de consommation dans le cadre du contrat de vente, que ces contenus numériques ou services numériques soient fournis par le vendeur ou par un tiers ».

5.

La vente de biens de consommation, tel que définis précédemment, doit, en application du nouvel article 1649ter de l’Ancien Code civil, répondre à des critères subjectifs et objectifs de conformité pour être considérés comme conformes au contrat[5] :

Les critères subjectifs sont :

  • correspondre à la description, au type, à la quantité et à la qualité et présenter la fonctionnalité, la compatibilité, l’interopérabilité et d’autres caractéristiques comme prévu dans le contrat de vente;
  • être adapté à la finalité spécifique recherchée par le consommateur que ce dernier  a portée à la connaissance du vendeur au plus tard au moment de la conclusion du contrat de vente et que le vendeur a acceptée;
  • être livré avec tous les accessoires et toutes les instructions, notamment d’installation, comme prévu dans le contrat de vente; et
  • être fourni avec des mises à jour comme prévu dans le contrat de vente.

Lorsque le contrat prévoit une fourniture continue pendant plus de deux ans, le vendeur répond de tout défaut de conformité du contenu numérique ou du service numérique qui survient ou apparaît au cours de la période durant laquelle le contenu numérique ou le service numérique est fourni en vertu du contrat de vente.

6.

Le nouvel article 1649quinquies définit les droits des consommateurs en cas de défaut de conformité. Ceux-ci pourront choisir entre trois remèdes :

  • la mise en conformité des biens et/ou services par la réparation ou son remplacement ;
  • une réduction proportionnelle du prix;
  • ou la résolution du contrat aux conditions énoncées dans les textes.

Insertion, dans le Code civil, de dispositions spécifiques régissant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques

7.

Cette nouvelle section transpose le contenu de la directive 2019/770 précitée.    

Elle s’applique à tout contrat par lequel le professionnel fournit ou s’engage à fournir un contenu numérique ou un service numérique au consommateur tandis que le consommateur s’acquitte ou s’engage à s’acquitter d’un prix (Ex : un abonnement Netflix).

8.

De manière parallèle à ce qui est applicable aux biens de consommation, le législateur protège le consommateur engagé dans des liens contractuels avec un fournisseur de contenu numérique et de services numériques :

  • Le professionnel doit fournir au consommateur le contenu numérique ou le service numérique acheté sans retard injustifié après la conclusion du contrat ;
  • Le professionnel rend disponible ou accessible le contenu ou le service numérique  pour le consommateur ;
  • Le professionnel fournit au consommateur un contenu numérique ou un service numérique qui satisfait aux critères subjectifs ou objectifs[6] ; 
  • La charge de la preuve quant à la question de savoir si le contenu numérique ou le service numérique a été fourni sans retard incombe au professionnel.
  • Une garantie légale de deux ans lorsqu’un contrat prévoit une opération de fourniture unique ou une série d’opérations de fourniture distinctes. Le professionnel répond de tout défaut de conformité qui existe au moment de la fourniture[7].
  • Durant la première année, le défaut de conformité est présumé, c’est au professionnel d’apporter la preuve que le défaut est apparu à la suite d’une erreur ou d’une utilisation déterminée du consommateur. Après un an, c’est au consommateur d’apporter la preuve que le défaut existait déjà au moment de la livraison.
  • En cas de fourniture continue, le professionnel est responsable du défaut de conformité qui survient ou apparaît au cours de la période durant laquelle le contenu numérique ou le service numérique doit être fourni en vertu du contrat[8].

9.

En cas de défaut de conformité, le consommateur a aussi droit à la mise en conformité du contenu numérique ou du service numérique, à une réduction proportionnelle du prix, ou à la résolution du contrat. Le consommateur a le droit de demander la mise en conformité du contenu numérique ou du service numérique, sauf si cela est impossible ou implique des coûts disproportionnés pour le professionnel. Cela doit être fait dans un délai raisonnable après la notification, sans frais et sans que cela ne présente un inconvénient majeur pour le consommateur[9].

Lorsque cela n’est pas possible, le consommateur peut exiger :

  • une réduction du prix qui doit être proportionnelle à la valeur diminuée ou à la période de fourniture non conforme du contenu numérique ou du service numérique ;
  • la résolution du contrat : uniquement si le défaut de conformité n’est pas mineur.

Remarques finales

Il convient d’ajouter que les dispositions précitées sont impératives et ne peuvent être écartées contractuellement en défaveur du consommateur.

Leur violation est par ailleurs sanctionnée pénalement.

Le législateur, sous l’impulsion des institutions européennes, a donc non seulement harmonisé mais aussi largement renforcé le système de protection légale des consommateurs en cas d’achat de biens de consommation numériques et de fourniture de services ou contenus numériques.

Ce mouvement s’inscrit dans une stratégie plus large qui consiste à créer un environnement sécurisé mais aussi attractif pour le numérique et l’innovation.

Thameur ELLOUZE – Avocat au Barreau de Liège – Huy


[1] Communication de la Commission sur la Stratégie pour un marché unique numérique en Europe, COM/2015/0192.

[2] La directive 2019/770 a pour finalité de garantir un niveau élevé de protection du consommateur, en établissant des règles communes relatives à certaines exigences concernant les contrats conclus entre professionnels et consommateurs pour la fourniture de contenus numériques ou de services numériques, notamment des règles relatives à la conformité d’un contenu numérique ou d’un service numérique au contrat, les recours en cas de défaut de conformité ou de défaut de fourniture et les modalités d’exercice de ces recours, et la modification d’un contenu numérique ou d’un service numérique.

[3] La directive 2019/771 vise à garantir un niveau élevé de protection des consommateurs, en établissant des règles communes relatives à certaines exigences concernant les contrats de vente conclus entre vendeurs et consommateurs, en particulier des règles relatives à la conformité des biens avec le contrat, aux recours en cas de défaut de conformité, aux modalités d’exercice de ces recours et aux garanties commerciales.

[4] Loi du 20 mars 2022 modifiant les livres Ier, VI et XV du Code de droit économique.

[5] Préalablement, il existait juste une présomption de conformité dans les conditions suivantes :

« 1° il (le bien) correspond à la description donnée par le vendeur et possède les qualités du bien que le vendeur a présenté sous forme d’échantillon ou modèle au consommateur;

2° il est propre à tout usage spécial recherché par le consommateur, que celui-ci a porté à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat et que le vendeur a accepté;

3° il est propre aux usages auxquels servent habituellement les biens du même type;

4° il présente la qualité et les prestations habituelles d’un bien de même type auxquelles le consommateur peut raisonnablement s’attendre, eu égard à la nature du bien et, le cas échéant, compte tenu des déclarations publiques faites sur les caractéristiques concrètes du bien par le vendeur, par le producteur ou par son représentant, notamment dans la publicité ou l’étiquetage ».

[6]  Articles 1701/5 et 1701/6

[7]  Art. 1701/8 ; Ce délai s’applique aux contenus et services numériques acquis par une opération de fourniture unique (ou série d’opérations individuelles de fourniture), comme l’achat de films en ligne ou le téléchargement de fichiers musicaux.

[8] Art. 1701/8, §3.

[9] Articles 1701/10 à 1701/13.

Rédaction